L’annonce du plan quantique par le président Emmanuel Macron au cours du mois de janvier place les technologies quantiques au cœur de l’actualité ; l’occasion de mettre en avant les travaux réalisés par Michel Kurek (E2019) dans le cadre de son SOTA report dans une interview où il nous dresse un état de l’art de la seconde révolution quantique : principes, mises en œuvre et challenges/verrous potentiels de cette nouvelle technologie.
Executive Master : Comment avez-vous construit le SOTA Report sur les technologies quantiques ?
Je voulais traiter d'une technologie disruptive et d'un sujet inédit dans l'Executive Master. Mon choix s'est porté très rapidement sur celui des technologies quantiques - au pluriel - dont on recommençait à entendre parler depuis quelques mois. En France, un important rapport parlementaire venait d'être remis au gouvernement tandis que des acteurs US majeurs du secteur comme IBM et Google rivalisaient de communiqués en communiqués sur leurs avancées respectives dans le domaine de l'ordinateur quantique.
Je décidais de commencer mon travail en faisant une large étude du paysage des brevets, des publications et des investissements dans le domaine du quantique afin de situer au mieux les acteurs du secteur et avoir une première partition des technologies. Cette étude était destinée à figurer en annexe. Mon ambition, dans le corpus principal du document, était de dresser un panorama sous forme d’état de l’art des technologies de la seconde révolution quantique en y présentant les principes, les mises en œuvre, les challenges et les verrous potentiels.
Le premier chapitre devait donner envie au lecteur de lire la suite. J'ai choisi un exemple marquant d’application disruptive des nouvelles technologies quantiques au monde de l’agriculture et de la chimie. Je décidais ensuite d'exposer les principes de base de la physique quantique sous-jacente puis de traiter successivement, avec le même plan, les domaines de la métrologie et des capteurs, celui des télécommunications et de la cryptographie et enfin de l'informatique quantique. Chaque partie se devait d'être au maximum indépendante de la précédente pour faciliter la lecture d'un document qui allait être dense.
EM : Quel est l'intérêt d'étudier et d'investir dans les technologies quantiques en ce moment ?
Le monde quantique est un univers particulier, celui des particules atomiques et subatomiques, où règnent les probabilités et les concepts de superposition, de non-clonage et d’intrigante intrication ! Au XXe siècle, la physique quantique a permis des inventions majeures tels le laser ou le transistor, élément de base de nos ordinateurs et smartphones. Mais ces inventions n'exploitaient que très peu les phénomènes que je viens de citer. Désormais, une seconde révolution est en cours.
Les progrès parallèles et continus de la recherche et de la technologie ont permis de valider et d’exploiter ces phénomènes, et de développer notre capacité à manipuler des objets quantiques individuels (électrons, photons…) pour y stocker, traiter et lire de l'information (les fameux qubits). Ces progrès ont conduit à l’émergence d'une nouvelle génération d’appareils, dont certains, déjà commercialisés, pourraient révolutionner des domaines aussi variés que la métrologie, les télécommunications et l’informatique, tant ils surpasseraient les performances des technologies existantes. Il est temps d'investir surtout qu'il y a aussi un enjeu de souveraineté et que certains pays comme les USA ou la Chine ont pris de l'avance.
EM : Comment le SOTA report a contribué à votre vie professionnelle ?
Au-delà de ma progression personnelle dans la compréhension des phénomènes quantiques, des outils mathématiques et des nouveaux paradigmes de la programmation informatique quantique auxquels je me suis initié, la publication de certains extraits de mon SOTA m'a permis de gagner une bonne visibilité dans l'écosystème du quantique. J'ai pu ainsi exposer plusieurs fois mes études sur le paysage des brevets, qui sont un des enjeux importants pour la recherche et l'industrie française face aux suprématies américaines et chinoises. Au final c’est un domaine que je trouve passionnant et je compte bien m’y consacrer au maximum à l’avenir.
EM : Selon vos études, quel est l'avenir des technologies quantiques ?
Les domaines d’application à moyen/long terme des technologies quantiques sont aussi variés que les communications et la cryptographie, la métrologie (capteurs), l’optimisation, la simulation (chimie, matériaux), et l’intelligence artificielle, au travers d’un futur « calculateur quantique universel ».
En métrologie, l’extrême sensibilité des objets quantiques aux influences externes les rend idéaux pour la réalisation de mesures de grandeurs physiques à haute précision. Certains capteurs quantiques sont déjà commercialisés mais les dispositifs devront être miniaturisés pour une meilleure diffusion dans l’industrie.
Les télécommunications cryptées sont dès aujourd’hui sous la menace d’un futur ordinateur quantique dont la puissance de calcul exponentielle pourrait casser les cryptosystèmes actuellement utilisés, mais l’intrication et l’impossibilité de cloner les qubits apporteraient une solution quantique… À la menace quantique. La Chine a déjà mis en place un réseau de communication quantique de plusieurs milliers de km. À quand un internet Quantique ? Une bonne génération je dirais…
Concernant l’informatique, les qubits actuels sont trop bruités et les erreurs de calculs trop nombreuses. Des protocoles de correction sont proposés mais ils nécessiteront l’intégration d’un grand nombre de qubits de meilleure qualité si bien que les ressources nécessaires pour les mettre en place vont bien au-delà des capacités de la technologie existante. Il faudra peut-être attendre 10 ans avant que des processeurs quantiques programmables « généralistes » soient disponibles.
Toutefois les chercheurs essaient de se contenter de ce qu’ils ont en termes de matériels et logiciels pour démontrer un réel avantage quantique sur un cas d’usage pratique et cela peut arriver très vite… Peut-être dès demain !
Une chose est sûre, c’est que les processeurs quantiques ne remplaceront pas les puces classiques de nos PC. On les trouvera d’abord dans des centres de calculs intensifs où ils pourront être couplés aux supercalculateurs traditionnels (HPC).
