Pourquoi as-tu choisi d'étudier les innovations technologiques dans le monde du trail ?


Mon activité professionnelle gravite autour de la médecine d’urgence. Durant l’Exécutive Master, le sujet de notre Team Project était également lié à la médecine. J’avais envie depuis longtemps d’explorer un autre domaine qui me passionne, celui du trail et particulièrement de l’ultra trail. Le Professeur Nicolas Mottis m’en a donné l’occasion en autorisant des sujets originaux pour les SOTAs. J’ai été très enthousiaste initialement car j’avais entendu parler, et personnellement expérimenté, de nouveaux produits et services. Cependant, une grande incertitude a suivi cette première phase. Est-ce que le sujet du trail se prêtait à l’exercice du SOTA Report ? N’était-il pas finalement trop frustre ? Finalement, après de multiples recherches et lectures, j’ai été conforté dans l’idée que le sujet regorgeait de pistes à explorer. L’exercice du SOTA a été passionnant en partie pour cette raison. Il m’a permis d’appréhender d’une manière exhaustive et rigoureuse, donc éminemment scientifique, un domaine précis en pleine transformation. En cela, il nécessitait de se plonger dans un travail de recherche bibliographique et d’organiser des entretiens avec des acteurs clefs et des entreprises innovantes de l’écosystème.



Pourrais-tu nous en dire davantage sur l’univers du trail ?


Le trail est de la course à pied en nature. Il suffit d’une paire de baskets et d’un peu de verdure pour le pratiquer à loisir. S’il existe une activité qui semble à distance de toute transformation, de toute innovation, c’est bien celle-ci. Elle repose sur l’aptitude intrinsèque de l’être humain à se déplacer en courant dans son milieu naturel. Elle existe depuis la nuit des temps et est littéralement ancrée dans nos gènes. En des temps immémoriaux, quand nous étions chasseurs cueilleurs, elle nous a permis de survivre en chassant ou en nous protégeant des prédateurs. Il suffit d’observer les jeux des enfants, phase d’apprentissage des aptitudes de l’âge adulte, pour s’en convaincre. La course est omniprésente dans leurs activités.

En pratique, on peut résumer le trail à six dimensions :
1.    La condition physique cardiorespiratoire, c’est-à-dire la capacité du corps à s’adapter à l’effort. La VO2 Max en est certainement l’indicateur le plus fiable aujourd’hui. Elle est souvent comparée à la cylindrée d’une voiture. Plus elle est élevée et plus il est confortable de maintenir une certaine vitesse. Par exemple, à 100km/h, le moteur d’une 2 chevaux souffrira alors que le moteur d’une grosse berline ronronnera. (Pas tout compris mais sans doute parce que je ne conduis pas et que toi tu es un pilote)
2.    La force musculaire, tant en termes de puissance que d’endurance. Elle est le reflet de la capacité de fournir un effort répétitif plus ou moins explosif suivant le terrain et les circonstances, et ce bien sur sans se blesser.
3.    La nutrition, à distance d’une épreuve (en apprenant à notre corps à faire un effort à jeun ou, au contraire, à consommer des glucides durant un effort prolongé), juste avant (afin d’être qualitativement et quantitativement chargé en énergie pour l’épreuve) et pendant une épreuve. La maitrise de cette dimension nutritionnelle est indispensable à la pratique de l’effort d’endurance afin de pouvoir le maintenir jusqu’à l’objectif fixé et d’y prendre du plaisir.
4.    L’hydratation et la consommation de sel durant l’épreuve, intimement liées à la température extérieure et à l’hygrométrie. Plus il fait chaud et humide, plus notre corps s’échauffe et plus nous perdons d’eau et de sel. Si nous ne maintenons pas une température et un niveau d’hydratation corrects, notre corps ne peut pas maintenir l’effort sans surchauffer et se blesser.
5.    L’équipement qui minimise le poids, les frottements, les impacts et donc maximise le confort et impacte la régulation thermique positivement.
6.    Enfin la dernière dimension est mentale. Elle englobe la rigueur de la préparation à une épreuve (qui est parfois plus difficile que l’épreuve elle-même), la gestion des blessures inhérentes à l’activité, l’organisation de l’épreuve et enfin la gestion en temps réel de l’épreuve dans les moments d’euphorie comme dans les moments difficiles.



Quelles sont les innovations technologiques dans cette pratique ?


Les innovations technologiques influencent l’ensemble de ces dimensions, dont voici quelques exemples ayant un impact sur la pratique sportive des trailers.

La prévention des blessures est optimisée par de nombreux outils. Ces derniers objectivent des mouvements à risque de blessure ou des blessures patentes et aident ainsi le sportif à les corriger. Ils font essentiellement appel à des capteurs connectés et à des algorithmes d’IA permettant d’analyser les mouvements.

Les équipementiers proposent aux coureurs l’accès et la compréhension de paramètres physiologiques et biochimiques rendus « visibles » grâce aux capteurs et aux algorithmes qu’ils développent. C’est un des domaines les plus riches. De nombreuses mesures permettent aujourd’hui de mieux appréhender le fonctionnement du corps lors d’une épreuve d’endurance et ainsi d’estimer sa réaction plusieurs heures après le début de l’effort. Cela va de la simple fréquence cardiaque à l’estimation de la VO2max (que nous avons évoquée plus haut) jusqu’au Stamina, nouvelle mesure développée par Garmin qui suit le niveau d'endurance réelle et théorique du coureur durant l’activité afin de lui permettre de mieux gérer l’effort sur la durée. Citons également le biocapteur de Supersapiens qui propose le monitorage de la glycémie en temps réel du sportif et qui permet ainsi de mieux appréhender ses besoins nutritionnels durant l’effort.

D’autres innovations se concentrent sur l’alimentation du sportif. Les glucides sont le combustible énergétique du traileur. Un des produits nouvellement commercialisés les plus prometteurs sont les boissons aux hydrogels. Elles utilisent une technologie pharmaceutique et l’adaptent au domaine du sport pour assurer l’apport énergétique adéquat durant l’effort d’endurance. Elles sont fabriquées à partir de la combinaison d’alginate (un extrait algue) et de pectine (contenue dans la pomme). Combinées, ces deux fibres alimentaires forment un hydrogel qui encapsule les glucides afin de passer la barrière gastrique et les délivrer dans l’intestin de manière plus rapide, plus concentrée et sans trouble digestif. Même si la plupart des études scientifiques montrent que la promesse d’un apport plus rapide et plus concentré n’est pas tenue, la tolérance digestive est souvent retrouvée comparativement aux apports traditionnels du sportif. Ces produits sont la première génération d’un nouveau mode d’alimentation durant l’activité d’endurance et nul doute qu’ils vont bénéficier d’améliorations.
L’équipement du traileur (ses chaussures, sa tenue, son sac à dos) est en continuel renouvellement dans un contexte hyperconcurrentiel. Les optimisations sur la forme, le poids, le confort et la régulation thermique naviguent entre innovation technique et stratégie marketing. Les grands players présents sur le marché (Salomon, Adidas, …) ont investi les réseaux communautaires et les entreprises qui les entourent. Ils sont ainsi au plus près de l’activité et à l’affut de tout potentiel d’innovation.



Quels enseignements et pistes de réflexion as-tu pu tirer de l’exercice du SOTA report ?


L’exercice du SOTA m’a permis de faire un tour d’horizon des innovations florissantes dans le domaine du trail. Passionnantes, elles questionnent sur la place qu’elles prennent dans un monde ultra connecté, composé de datas et d’indicateurs et où la rationalité est le maitre mot. Peut-on par exemple modéliser l’intuition ? La pratique du trail, et particulièrement de l’ultra-trail, est une sorte de condensé d’expériences et d’émotions. Le traileur passe par des moments de plaisir, de douleur, de désespoir et d’euphorie qui caractérisent l’expérience. Les gains apportés par les nombreuses innovations risquent-elles de réduire ces émotions ? Une des pistes pour répondre est certainement de basculer régulièrement d’une pratique connectée à une pratique nue, en restant à l’écoute de ses sensations.