Laurent BRANOVER

Tu as récemment reçu la médaille de Chevalier de l'Ordre National du Mérite. Pourrais-tu nous présenter ton parcours professionnel et nous en dire davantage sur cette nomination ?

Ma carrière s’est développée sur plusieurs continents. Après avoir intégré de prestigieuses Maisons en Europe, telles que le Royal Barrière à Deauville, le Park Hotel à Genève, le Byblos à Saint-Tropez et Courchevel, j'ai ensuite travaillé à Shanghai ou encore Sydney.
En 2008, je prends la position de Directeur Général Adjoint de l’Hôtel Métropole à Monaco, qui a été élu à cette époque « Meilleur Hôtel du Monde 2010 » par Leading Hotels of the World.
Je deviens ensuite Directeur du Raffles Hotel Singapore, je continue mes voyages en famille pour prendre la direction du Palais Namaskar à Marrakech, Oetker Collection pour la création de ce lieu unique. J’ai développé notamment un programme eco-friendly récompensé du prix « Best Luxury Green Hotel 2014 » par les World Luxury Hotel Awards. En 2015, je rentre en Europe pour prendre les rênes du Palace La Réserve à Genève.
En 2019, je décide de m’associer et de prendre la Direction Générale des Domaines de Fontenille pour créer une collection d’hôtels, restaurants et vignoble en Europe. J'ai eu a coeur que cette collection d'hôtels ait un sens sur la permaculture, le bien-être et la valorisation de lieu unique.

Ma maxime est « Il y’a pire que de ne pas réussir c’est de ne pas essayer ». J’ai beaucoup essayé. J’ai beaucoup travaillé, avec mon épouse Isabelle et mes enfants Louis et Sarah, pour arriver à cette belle reconnaissance.

Peux-tu nous parler de ce qui t'as conduit dans ce secteur ?

Durant mon enfance, j'ai eu l'occasion de voyager avec mes parents en Europe et dans le monde entier. J'ai toujours aimé séjourner dans de beaux hôtels, dans les lieux atypiques que nous visitions et j'ai très tôt su apprécier le sens du luxe dans ces propriétés. 
À l'âge de 19 ans, j'ai décidé de me lancer dans une carrière internationale dans l'industrie hôtelière. Je me suis donc inscrit dans une école hôtelière à Toulouse, avec une spécialisation dans les arts de la table. Ma carrière était tracée dès le départ avec comme objectif premier de travailler pour les grands hôteliers et restaurateurs.
Cela ne signifie pas que j’ai toujours été exempt de doutes, bien au contraire, mais je pense que l’on doit croire en sa vision, en son intime conviction, tout en restant vigilant. Nous devons être capable de prendre du recul – jusqu’à l’appréhension qui est pour moi une « peur saine, constructive ». Notre métier appelle au bon sens, à l’écoute mais aussi à une certaine contemplation et, bien sûr, à l’espérance !

Quels sont, pour toi, ses principaux ressorts ?

Tout d’abord, ce qui m’a motivé depuis toutes ces années, c'est la passion de mon travail. Rester concentré sur mes objectifs est, selon moi, la clé du succès. Je mets également énormément d’importance dans ce que j’appelle « la richesse humaine » - je préfère ce terme à celui de « ressources humaines » - elle englobe bien mieux l’idée de collaboration entre différents individus, talents. C’est cette richesse humaine qui nous permet, dans un environnement très exigeant, comme le secteur de l’hôtellerie de luxe, d’avoir des résultats et d’être en mesure de réagir rapidement, notamment à l’évolution des conditions du marché et de réviser les stratégies en conséquence.
J'aime ces notions de collaboration, d’unité et de partage. Pour moi ce sont les qualités nécessaires à un bon leader afin de permettre à ses collaborateurs de se développer. La notion d’agilité est également un concept clef.
Je suis intimement convaincu que l’on peut « réussir » - même si je n’aime pas l’idée de compétition que recouvre ce mot - en restant intègre.
J’aimerais souligner que, malgré les déceptions possibles, nous rencontrons toujours des gens passionnés et passionnants dans notre profession. Il faut se tourner vers l’avenir car il est porteur de sens, de profondeur et surtout nous en sommes les acteurs. Nous ne pouvons revenir sur les évènements passés alors autant mettre toute son énergie dans un avenir qui s’annonce radieux !
Du côté des équipes, je sens bien que les jeunes diplômés recherchent de plus en plus la transversalité car ils sont curieux, ouverts. Ils n’hésitent pas à remplir des fonctions très différentes avec un grand enthousiasme ! 

Au cours des dernières années, quelles sont les évolutions technologiques qui ont impacté l’industrie hôtelière ?

Mon métier d’hôtelier par son industrie est depuis longtemps à l’avant-garde de l’économie de l’expérience. Il évolue continuellement pour répondre aux besoins changeants des consommateurs se développant encore plus avec le Post-Covid 19.
 
Nous avons dans le monde plus de 20 millions de chambres, même si je n’aime pas du tout la notion d’industrie hôtelière … Nous devons utiliser cette opportunité pour créer et en sublimer l’expérience de nos clients interne ou externe. L’Internet des objets (IoT), a profondément fait évoluer notre métier (avec Oracle ou Sunday notamment). Le Postulat étant de trouver des solutions rapides et peu couteuses pour continuer à être performant afin de garder nos richesses humaines et de continuer à fidéliser nos clients. Nous devons étudier notre environnement propre (économes, suivi d’énergie…) en ayant un système unique, performant et agile en faisant des économies importantes.

Oracle nous a permis de réfléchir à des solutions, en utilisant des trackers d’actifs connectés dans nos clés, nos téléphones et certains autres équipements. Ces outils nous permettent de retrouver et de gérer en temps réels notre activité. Selon une enquête sur l’expérience client : les clients ne veulent plus choisir entre l’interaction humaine ou les machines. Ils veulent que l’automatisation soit intégrée dans leurs expériences mais qu’elle conserve un élément humain.

La préservation de la santé des visiteurs est un sujet, puisque le moindre problème impacte grandement la qualité du séjour du visiteur et l’image de l’établissement. La pandémie a mis cette problématique au centre de la préoccupation des visiteurs. Une métanalyse parue en octobre 2020 met en évidence la profondeur de l’impact qu’a eu cette crise sur les comportements, les attentes et les anxiétés des visiteurs d’hôtel. Par exemple, une étude sur 3 grandes villes Chinoises a montré que la plupart des personnes interrogées sont prêtes à payer un supplément contre l’assurance de la réduction des risques de contamination. Bien sûr, toutes ces études manquent aujourd’hui de recul pour être fiables, mais l’étude conclut tout de même qu’il faut prévoir un changement durable dans les habitudes des visiteurs dans les hôtels.

Beaucoup d’outils issus de l’écosystème de l’IoT peuvent être des armes efficaces contre la contamination des visiteurs par des virus, et en premier lieu, la surveillance de la qualité de l’air. 

Il est possible d’instrumenter les systèmes de ventilation pour en surveiller le fonctionnement. Il est également possible d’utiliser des systèmes de « edge computing ». Ces derniers agrègent des données de vibration et température afin d’appliquer un processus de maintenance prédictive permettant d’anticiper et d'éviter toute panne. L’efficacité de la ventilation (naturelle ou non) peut être surveillée précisément. Des capteurs peuvent être installés dans toutes les pièces, même les plus isolés et à bas coûts : des capteurs de polluant émis par les hommes et l’environnement comme le CO2 ou les COV, des capteurs de température et d’hygrométrie. La qualité de l’air agit également beaucoup sur la satisfaction des visiteurs, même si ceux-ci sont rarement conscients de cet effet. Une étude de 2018 a montré que la température et l’humidité agissaient directement sur l’attention et la concentration des personnes dans un bâtiment.

L’IoT peut également analyser l’occupation des espaces communs, grâce à des caméras à reconnaissance automatique ou des capteurs infrarouges invisibles dans les plafonds. Ce système est capable de compter le nombre de personnes présentes dans les pièces (évitant ainsi les problématiques de discrétion et de droit à l’image). D’autres capteurs peuvent compter les personnes dans les lieux de passage. Toutes ces informations sont ensuite analysées pour optimiser les flux de personnes, éviter les rassemblements et réorganiser les espaces. Ces études sont bien sûr nécessaires pour anticiper la possibilité d’accueillir plus ou moins de visiteurs en fonction des conditions sanitaires. Cette analyse est d’autant plus importante pour les établissements cherchant à avoir un environnement le plus calme possible pour ses clients en évitant à tout prix les files d’attente et la promiscuité entre les visiteurs.

Un autre aspect important de la santé du visiteur est le restaurant de l’hôtel, qui doit garantir à ses clients un haut niveau de confiance dans la fraicheur des aliments proposés. Le transport et la chaine du froid jouent un rôle très important dans ce domaine. Tous les acteurs de la filière, du producteur à la chambre froide de l’hôtel, peuvent aujourd'hui équiper leurs containers frigorifiques de capteurs de température, hygrométrie, luminosité et chocs. 

L’expérience et l’offre pour les clients étant aussi la clé. La charte qualité de « relais et château » mentionne explicitement que la détente du client passe par la qualité et le confort des infrastructures. 
Par exemple, il est possible de surveiller les niveaux de bruit ambiant dans les chambres, les espaces communs, et à l’abord du site. En cas de dépassement des seuils, l’équipe pourra intervenir immédiatement pour stopper la source de bruit sans que les visiteurs n’aient besoin de demander. La luminosité joue également un rôle clé dans le ressenti du confort, des capteurs de luminosité, des ampoules et des stores connectés peuvent permettre de régler finement l’éclairage des pièces. 

La qualité de service passe aussi par la discrétion de l’équipe de l’hôtel dans la réalisation des tâches d’entretiens. Il est possible d’installer des capteurs de présence dans les chambres afin de s’assurer que la chambre est vide avant d’effectuer le service de couverture. Ils peuvent également servir à assurer qu’il ne reste personne à l’étage avant de réaliser des tâches bruyantes (nettoyage, travaux).

Les outils technologiques sont venus en appui de l’équipe de l’hôtel afin de les décharger des tâches longues, répétitives pour leur permettre de se concentrer sur l’expérience des visiteurs.

Il est possible de réduire le travail de surveillance en connectant un grand nombre d’installations : un minibar connecté permet d’indiquer immédiatement qu’il faut aller le recharger. Des capteurs de niveau de consommables (savon, serviettes) peuvent éviter les tournées de surveillance. Un système de réservation informatisé couplé à des capteurs de présence peut permettre de laisser les espaces comme le SPA, la piscine, la salle de sport ouverts en continu, leurs entretiens pouvant être faits lorsqu’ils sont vides.

Des détecteurs de passages ainsi qu’une caméra à l’entrée peuvent permettre d’anticiper l’arrivée d’un client pour préparer son check-in et être prêt à monter les bagages. Il est même possible d’éviter complètement le check-in, en installant un système d’ouverture de porte avec le smartphone des clients.

Enfin la personnalisation de l’expérience grâce à L’IoT et les données qu’il génère permettent finalement l’hyperpersonnalisation du séjour des visiteurs.

D’abord dans la chambre, le visiteur doit pouvoir se connecter à tous les appareils avec son smartphone (éclairage, tv, enceinte, smartphone, thermostat, store...). Ces éléments permettent de régler les ambiances en fonction des heures de la journée et des activités (travail, repos, lecture...). S’il donne son accord, les préférences  du client peuvent être sauvegardées pour qu’il puisse les retrouver s’il revient ou s’il visite un autre établissement. Ces données peuvent ensuite être utilisées par des algorithmes d’apprentissage pour personnaliser automatiquement l’ambiance de la chambre en fonction du profil du visiteur. Un système de « chambre intelligente ».

D’autres appareils connectés peuvent faire la différence dans l’expérience avec un client plus technophile, comme un bain commandable, qui permet de se faire couler un bain dans la chambre à la bonne température depuis le restaurant par exemple. D’autres systèmes plus avancés existent comme un lit connecté, dont la température et la fermeté peuvent être réglées par le client. Les données générées par les lits (qualité du sommeil des visiteurs) permettent de détecter des chambres où il est plus difficile pour dormir ou d’identifier la meilleure chambre pour chaque client en fonction de leur profil.
 

Quels ont été les apports du programme dans ton quotidien ? Quels sont les grands sujets et enjeux stratégiques du moment pour le secteur de l’hôtellerie ?

Intégrer cet Executive Master a été une belle opportunité. Cela m’a ouvert les yeux sur différents domaines que je ne connaissais pas. Cela a été une richesse intellectuelle extraordinaire, des découvertes, des rencontres dans le secteur de la recherche, le médical, l'armée, la gendarmerie et dans le monde politique également… Ces partages nourrissent énormément, c’est exceptionnel !
Sur mon quotidien, cela m’a apporté beaucoup de choses. D’abord dans la partie développement : j’ai compris ce qu’étaient des fluides, l’énergie, l’impact que cela peut avoir sur notre planète, sur les coûts, sur l’organisation.
Ensuite sur les éléments data, l’IA. Cette partie m’a permis de réfléchir, de trouver et d’emmener des solutions tant au niveau de la performance financière que des résultats pour nos équipes et les clients. Cela m'a donné l'opportunité de réfléchir au niveau des richesses humaines pour utiliser ces nouveaux outils afin de fidéliser nos équipes.
Ce sont des rencontres avec des chercheurs qui parlent de leur parcours professionnel, de leur parcours de vie qui vous nourrissent énormément. Cela vous fait grandir et leur très grande humilité a été une quête de sens important.
Faire cet Executive Master c’est avoir la chance de venir à Palaiseau à l’Ecole Polytechnique. Nous sommes dans une école qui a 225 ans, qui a une histoire forte de notre pays, de création, d’innovations... C’est la construction de la France, ce sont des choses qui ne sont pas anecdotiques avec une histoire très forte. Nous avons pu visiter l’Université de TUM en Allemagne, l'Université de Berkeley aux Etats-Unis. C’est un enrichissement personnel très fort que l’on ne vit surement qu’une fois dans sa vie. C’est incroyable !
Les grands sujets stratégiques dans le secteur de l’hôtellerie sont les enjeux globaux du tourisme : en 2023, la Coupe du Monde de Rugby, en 2024 les Jeux Olympiques. Nos grands sujets sont également l’organisation, le recrutement, la fidélisation, la création de valeur auprès de nos collaborateurs et de nos partenaires, pour faire vivre notre pays, notre hôtellerie, notre tourisme, notre restauration.
Tout cela est un grand sujet, un vrai enjeu stratégique. De cela, découle l’expérience qui va être donnée dans le tourisme en France, c’est-à-dire comment valoriser notre agriculteur, nos vignobles, les artisans qui font du fromage, de la viande, du poisson. Ce n’est pas anecdotique, tous ces enjeux ont un effet immédiat sur le paysage de notre pays, de nos régions, de notre culture, de qui nous sommes. C’est pour moi l’opposé du populisme, c’est cette force qui explique pourquoi les personnes viennent découvrir notre pays, la France. C'est aussi la raison pour laquelle les Français redécouvrent notre si joli pays, car durant le Covid, des Français découvraient ou redécouvraient des régions qu’ils avaient oubliés. Nous avons recréé du lien par rapport à cela. Il y a également les touristes étrangers, les américains ou encore les anglais qui viennent de nouveau visiter nos lieux. Tous ces enjeux-là sont des enjeux humains, des enjeux sociétaux, des enjeux économiques. Ce sont les grands sujets de notre métier pour les mois et les années à venir.


Quels sont tes projets pour la suite ?

Cela fait 27 ans que je fais ce métier, j’ai vécu sur les 5 continents, j’ai découvert différentes cultures, religions, gestions, management. J’ai été nourri par tout cela. Quand j’ai passé mon BTS à Toulouse, je n'aurais jamais pensé découvrir tous ces pays :  la Chine, l’Asie du Sud-Est, le Maroc, le continent Américain. J’ai eu beaucoup de chance car j’ai pu faire cela grâce 4 éléments : le français, la culture, l’image de la France à l’étranger et avoir une famille avec mon épouse qui a pu me soutenir, voyager partout à mes côtés.
La suite est de pouvoir rendre à mon pays tout ce que j’ai pu apprendre que ce soit par de la formation, de l’accompagnement, des idées à valoriser sur le tourisme dans notre pays. C’est tout cela que j’aimerai rendre.